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vendredi 18 février 2011

Rousseau, Discours sur l'inégalité - Travail préparatoire de commentaire sur la notion de pitié

I)                  Définitions

·         Nature/Naturel

S’il est question de « nature » dans un texte de Rousseau, c’est qu’il est nécessairement question d’une distinction entre un état de nature et un état social articulé autour de la notion de contrat social.
L’état de nature est bien noté dans l’extrait (ligne 3) ; il est cet état d’avant la vie sociale, un état antérieur aux lois, ainsi qu’aux notions de justice et de morale. L’état de nature est le lieu de l’immédiateté et de l’irraisonné (« C’est elle qui nous porte sans réflexion » ligne 3).
La Nature est également le lieu des sentiments naturels. Dans l’extrait présent, il est surtout question des sentiments naturels d’amour de soi (égoïsme total qui consiste en une protection de sa propre personne et une conservation de son bien propre) et de pitié (une mise en miroir des souffrances d’autrui sur nous qui fait que nous souffrons à notre tour comme souffre l’autre ; ceci nous pousse à aider autrui pour soulager notre propre souffrance).
Ces sentiments sont dits « naturels » car ils sont immédiats, spontanés ; ils ne passent pas par la raison et cette dernière ne les analyse pas.
La Nature (ou état de nature) est ce moment de l’humanité qui met en relation deux sentiments naturels opposés (un repli sur soi et une tension vers autrui) : « (…) la pitié est un sentiment naturel, qui modérant dans chaque individu l’activité de l’amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce. ». Cette tension entre ces deux sentiments naturels opposés laisse naître un équilibre lui aussi spontané, « la bonté naturelle ».
La bonté naturelle est cette « moralité de l’état de nature », cet équilibre que la nature parvient d’elle-même à établir, moralité spontanée et universelle qui permettra la conservation de l’espèce humaine, (« C’est elle qui, dans l’état de nature, tient lieu de loi » ligne 4).

·         Raison/Raisonnement

Dès les premières lignes de l’extrait, la raison est posée comme extérieure à l’état de nature : « C’est elle [le sentiment naturel de la pitié] qui nous porte sans réflexion au secours de ceux que nous voyons souffrir ; » (ligne 2/3).
Rousseau développe ensuite plus loin dans l’extrait : la morale de l’état social (« maxime sublime de justice raisonnée » ligne 7) s’oppose à la « morale » de l’état de nature (« maxime de bonté naturelle » ligne 8).
A l’état social, la raison est donc le socle sur lequel se fonde la morale. L’utilisation de l’adjectif « sublime » est là pour montrer la perfection de la loi morale dans la société.
Cependant, si la loi morale dans la société est qualifiée de parfaite car elle découle d’une « justice raisonnée », Rousseau n’en déduit pas pour autant que cette justice raisonnée est plus utile que la bonté naturelle vue précédemment : « cette autre maxime de bonté naturelle bien moins parfaite, mais plus utile peut être que la précédente » (ligne 8/9).
La raison est donc quelque chose qui appartient à l’état social et non à l’état de nature. Elle permet une justice dite parfaite mais ne garantit pas son respect, contrairement à la « morale » découlant du sentiment naturel de pitié, car cette dernière est universelle et spontanée et donc indiscutable.
L’unique usage de la raison n’a donc aucun sens selon Rousseau s’il ne repose pas d’ores-et-déjà sur le socle du sentiment naturel de pitié : « il y a longtemps que le genre humain ne serait plus, si sa conservation n’eut dépendu que des raisonnements de ceux qui le composent. » ( ligne 13/15).

·         Loi/Maxime

Dans cet extrait, Rousseau expose trois types de loi/maxime différents :

ð  Une « maxime de bonté naturelle » que l’on pourrait aussi appeler la « moralité de l’état de nature », à savoir cet équilibre découlant du sentiment naturel de pitié qui permet une régulation des rapports avec autrui et qui garantit la conservation de l’humanité. Le sentiment naturel de pitié joue alors dans l’état de nature le rôle que la loi joue dans l’état social : « C’est elle qui, dans l’état de nature, tient lieu de loi (…) ». La moralité n’est pas ici considérée comme une fin, mais comme un moyen pour la conservation de l’espèce.
ð  Une « maxime de l’éducation », c'est-à-dire une morale qui se trouve dans l’état social et qui a pour but de faire prendre conscience de la « justice raisonnée » ; elle permet de passer de la « maxime de bonté naturelle » à la « maxime sublime de justice raisonnée ».
ð  Une « maxime sublime de justice raisonnée » ou la loi morale qui découle de l’état social. C’est une morale dictée par la raison et considérée comme finalité. Elle est l’aboutissement des deux autres maximes et a pour socle nécessaire le sentiment naturel de pitié sinon elle ne serait pas effective et l’humanité ne pourrait pas être sauvegardée : « C’est (…) dans ce sentiment naturel, plutôt que dans des arguments subtils, qu’il faut chercher la cause de la répugnance que tout homme éprouverait à mal faire, (…) » (ligne 10/12).


II)              Découpage du texte

Partie 1 : ligne 1 à 7 : « (…) la pitié est un sentiment naturel (…) si lui-même espère pouvoir trouver la sienne ailleurs. »

Partie 2 : ligne 7 à 12 : « C’est elle qui, au lieu de cette maxime sublime (…) même indépendamment des maximes de l’éducation. »

Partie 3 : ligne 12 à 15 : « Quoiqu’il puisse appartenir à Socrate (…) de ceux qui le composent. »


III)           Justification du découpage

Dès le début de l’extrait, Rousseau expose sa thèse : « (…) la pitié est un sentiment naturel, qui modérant dans chaque individu l’activité de l’amour de soi-même, concourt à la conservation mutuelle de toute l’espèce. »
Rousseau décrit ensuite les différentes fonctions de la pitié ; elle est liée à la souffrance (« c’est elle qui nous porte (…) au secours de ceux que nous voyons souffrir ») ou elle est un frein à l’injustice (« c’est elle qui détournera tout sauvage (…) sa subsistance acquise avec peine »)
La pitié est un sentiment immédiat (« sans réflexion »), contrairement à la raison qui pèse le pour et le contre.

La pitié apparait alors comme une « morale à l’état de nature » et elle préfigure également ce qui se passera dans l’état social. En effet, il est précisé dans la première partie du texte qu’elle est la forme primitive des « lois, des mœurs et de la vertu ».
D’où, dans la seconde partie du texte cette précision de Rousseau qui note la différence entre la « maxime de bonté naturelle » et la « maxime sublime de justice raisonnée ».
En effet, avec l’apparition de la raison dans l’état social, cette moralité à l’état de nature, qui est naît du sentiment de pitié, perdra de son efficacité car la morale dictée par la raison peut ne pas être respectée, contrairement à la morale par les sentiments naturels qui est forcément respectée car ces sentiments sont spontanés et universels.
On peut donc désobéir à ce que nous dicte la raison alors que la pitié est trop immédiate et trop puissance pour être discutée : « nul n’est tenté de désobéir à sa douce voix » (ligne 4/5).
De plus, c’est sur quelque chose de simple et de spontané que peut se fonder « utilement » une morale. Ainsi, la maxime de bonté naturelle se détache du « sublime » de la raison, et « des arguments subtils » (critique de la raison qui perd de son efficacité à instaurer une loi morale) : « Fais ton bien avec le moindre mal d’autrui qu’il est possible. ». Dans cette maxime, on retrouve quelque chose de clair et de spontané, à savoir la première partie de la phrase (« Fais ton bien ») qui s’attache à la notion d’amour de soi et la seconde partie (« Avec le moindre mal d’autrui ») qui s’attache à la notion de pitié.
Cette maxime illustre bien cette tension entre soi-même et autrui, entre égoïsme et projection vers l’autre ; elle satisfait l’intérêt non égoïste du nous, se présentant vraiment utile et indiscutable.

A la fin du texte, Rousseau parvient donc bien à nous montrer que la morale n’est pas seconde, qu’elle n’est pas issue de l’état social ou de l’éducation. En effet, l’homme trouve sa moralité au cœur même de sa nature, dans le sentiment naturel de pitié, et non à l’aide de la raison.
La morale est donc immédiatement donnée à l’homme primitif, et c’est cette immédiateté qui permet la conservation du genre humain car elle est le socle de la société. D’ailleurs, la fin de l’extrait confirme bien cette dernière idée : « il y a longtemps que le genre humain ne serait plus, si sa conservation n’eut dépendu que des raisonnements de ceux qui le composent. » ( ligne 14/15)


Ainsi, dans cet extrait du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Rousseau parle du problème du fondement de la morale dans une situation délicate qu’est le passage de l’homme de l’état de nature à l’état social. Le philosophe nous montre donc que la morale est partie constitutive de l’homme primitif ; Bien entendu, avec le passage à l’état social et l’apparition de la raison, la morale perdra en efficacité car les maximes issues de la raison seront alors discutables. Mais ce qui continuera de garantir le maintien du genre humain malgré le passage à l’état social, c’est ce sentiment naturel essentiel qu’est la pitié, que l’homme trouvait déjà en lui avant d’être civilisé.

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