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jeudi 31 mars 2011

La Vérité est-elle une valeur comme les autres ? Conférence d'Olivier Tinland à Montpellier

Depuis l’Antiquité, la philosophie se définit comme la quête de la Vérité, notamment par les techniques de persuasion comme la rhétorique. La Vérité a toujours été entendue comme un idéal abstrait, un but ultime que le sage se devait d’atteindre. C’est l’universalisme.
Mais on trouve également une autre interprétation de la vérité ; celle qui consiste à dire qu’aucune Vérité (au sens absolu du terme) ne peut être atteinte. C’est le relativisme.
Ces deux conceptions opposées de la Vérité sont des extrêmes. Alors quel est le concept de vérité à retenir afin d’éviter ces extrêmes que sont l’universalisme et le relativisme ?

A partir de quel moment décide-t-on du caractère vrai d’une chose ? Le moment où l’on considère une chose vraie ou non est toujours précédé en philosophie d’un moment de doute. Quand le philosophe fait un arrêt sur image du doute, c’est ce qu’on appelle le scepticisme.
Cet arrêt sur image du philosophe, c’est une exagération de ce sur quoi il réfléchit. On trouve des exemples dans la philosophie de ce doute hyperbolique comme chez Descartes dans ses Méditations Métaphysiques ou encore son Discours de la Méthode.
Cette exagération du sujet de réflexion en philosophie est un excès théorique qui finalement nous éloigne de la réalité.
Afin de créer le doute, la philosophie met en scène un effet de dramaturgie. Mais le problème c’est que la philosophie finit par subir sa propre mise en scène dramaturgique.

La philosophie a un rapport contradictoire à la Vérité : Celle-ci est à la fois la plus abstraite et la plus concrète, il est donc extrêmement complexe de la saisir.
En effet, même quand nous pensons saisir une Vérité, il y a toujours une méfiance : toute Vérité est soupçonnée d’être une manipulation, une volonté de puissance… La philosophie, face à la Vérité, adopte un mélange de méfiance et de confiance.
C’est en faisant une dramaturgie des choses que la philosophie peut nous aider à résoudre ce rapport contradictoire à la Vérité.

Nous avons une perception ordinaire de la Vérité, nous pouvons en avoir l’idée en notre esprit, mais lorsqu’il s’agit d’en donner une définition concrète, cette évidence se dissout.
Cette quête se précède constamment elle-même ; nous ne pouvons pas définir la Vérité mais cette Vérité doit pouvoir quand même se reconnaitre.
On pose alors des critères de reconnaissance de la Vérité : la Vérité est la propriété d’un type d’hommes capables d’être véridiques. La Vérité est ce qui vise à proférer des paroles inoubliables. La Vérité, et plus particulièrement le « dire-vrai » devient alors une attribution sociale.
Platon et Aristote considérait d’ailleurs ce rapport de la Vérité au cœur de la vie sociale : la Vérité entretient un double rapport d’un discours à une intersubjectivité (c'est-à-dire un discours d’un citoyen à un autre citoyen) et d’un discours à une objectivité (c'est-à-dire un discours qui se veut objectif au maximum).

Chez d’autres philosophes, la notion de Vérité ne se rapportera pas d’emblée à un critère d’excellence sociale mais d’abord au réel.
Heidegger considère que ce qui est vrai est ce qui est réel. Et donc, ce qui est vrai est ce qui est authentique.
Le vrai est ce qui a une valeur qui ne dépend pas de la réalité de la chose. Ce qui compte dans la notion de Vérité c’est la conformité de la chose avec la valeur qu’elle est censée avoir. La Vérité se trouve lorsque notre pensée correspond à ce que nous pensons. Finalement, la Vérité se trouve dans l’adéquation de la chose et de l’intellect. La Vérité, c’est la correspondance de notre pensée avec ce qui est.

Mais cette définition de la Vérité pose un problème majeur en philosophie, c’est la communication entre notre esprit (immatériel) et les choses dans le monde (matérielles)
La notion de Vérité pose le problème de l’adéquation des substances matérielle et immatérielle. Comment ce qui est complètement différent, à savoir matériel et immatériel, peut faire adéquation ? En effet, l’idée de correspondance entre mon esprit et les choses suppose que je puisse comparer la pensée à la réalité et inversement. Mais comment faire pour comparer la pensée au réel ? (problème posé par l’idéalisme)

La solution que nous pouvons apporter à ce problème c’est que nous ne pouvons pas nous passer de nos représentations pour accéder au réel. Il est clair que nous ne pouvons pas toucher le réel en soi, de manière absolue. On ne peut pas comparer clairement la pensée au réel car ce dernier est extérieur à elle.
Le critère de Vérité ne dépend alors que de nos représentations subjectives puisque nous ne pouvons pas donner un sens clair à l’idée de correspondance entre matériel et immatériel.
La Vérité serait alors la comparaison de nos croyances avec d’autres croyances. La Vérité se trouve alors dans l’organisation interne de nos pensées.
Hegel posera cette théorie en disant que la Vérité est l’articulation des croyances. Une Vérité est une Vérité vraie si elle a une relation harmonieuse avec d’autres Vérités.

Nous avons vu que la correspondance étaient nécessaire à la compréhension de la Vérité. Puisque la correspondance de la pensée avec le monde n’est pas possible, cette correspondance (puisqu’elle est nécessaire) se fait alors dans l’intersubjectivité, dans la mise en relations des croyances des hommes.
Mais cette correspondance, même si elle est nécessaire, ne suffit pas à la compréhension de la Vérité. En effet, je peux raccrocher aux croyances vraies une multitude de croyances fausses qui viendront alors se raccorder sur le critère de vérité établi. Même si les croyances fausses viennent se greffer sur des croyances vraies, nous aurons toujours un système cohérent de croyances et nous ignorerons que nous nous trouvons dans un système qui est faussé.
Il est bien clair qu’une simple cohérence des croyances ne suffit pas pour atteindre la Vérité.

En solution à ce problème, le relativisme posera la Vérité comme étant une perspective individuelle. Le relativisme mettra en évidence une valorisation arbitraire de nos pensées. C’est une forme de perspective singulière sans universalité réelle. Dans la Vérité, on ne cherche alors pas le réel, le rationnel, mais avant tout le désir, le fantasme de chaque être pris dans sa singularité.
Mais le relativisme nous pousse à croire que toute Vérité n’est alors qu’un jugement de valeur comme un autre. Finalement, notre usage de la notion de Vérité serait un usage sans filet.
La notion de Vérité est-elle alors illusoire ? (cette théorie sera développée par le nihilisme)


Tous ces courants philosophiques cités jusque-là, le relativisme, le constructivisme, le nihilisme, ne sont que des constructions dramaturgiques de la philosophie. Leur résultat est non maitrisé.
- Le relativisme est l’expression dramatisée de notre inadéquation de nous-mêmes à l’absolu. Les relativistes vivent dans cette hantise d’un absolu qui est introuvable.
- Le constructivisme met en évidence un savoir qui est décontextualisé. Les constructivistes sont eux aussi sous l’emprise d’un idéal inaccessible.
- Le nihilisme c’est la « gueule de bois » des valeurs absolues d’autrefois. C’est un jeu du « Tout-ou-Rien ».
- Le post-modernisme c’est la posture philosophique incontrôlée. Les post-modernes sont tributaires de la sacralisation ; ils défendent l’idée selon laquelle il y a une absence totale des fondements absolus de nos pratiques.

En ce qui concerne les problèmes posés par la notion de Vérité, le scepticisme est irréfutable sur le plan théorique. Mais sur le plan pratique, c’est un courant largement critiquable. En effet, le scepticisme s’évanouit aussitôt que le sceptique reprend sa vie de tous les jours. Alors qu’en philosophant, le sceptique défend l’idée selon laquelle aucune valeur ne doit être considérée comme vraie, lorsqu’il arrête de travailler et reprend le cours normal de sa vie, il redevient un homme comme les autres, bien obligé de prendre les valeurs de la vie, et de les considérer comme vraies pour avancer et vivre tout simplement. Si je veux jouer aux cartes avec des amis et qu’en sceptique je me mets à penser que le jeu n’est qu’une illusion, que la chaise sur laquelle je suis assis est une illusion et que mes relations avec autrui sont aussi une illusion, alors je ne peux plus vivre. Le sceptique, pour vivre, doit laisser de côté son scepticisme et se mettre à avoir des croyances en la vie pour pouvoir vivre.

Il y a dans le courant sceptique, comme dans tous les courants philosophiques, une absence de convictions et la philosophie doit nous faire ressentir cette absence.

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