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jeudi 19 mai 2011

Canguilhem, La connaissance de la vie.

Georges Canguilhem est un médecin et philosophe français né en 1904 et mort en 1995. Ses travaux se situent dans la continuité de l’œuvre de Bachelard. Il est le premier représentant de l’épistémologie biologique en France et a analysé d’un point de vue historique et critique tout ce qui pouvait faire obstacle au développement scientifique.
La connaissance de la vie est un recueil d’articles publiés en 1952, consacrés à la médecine et aux sciences biologiques.
L’ouvrage se divise en trois parties : l’étude de la méthode en biologie, l’histoire de la théorie cellulaire et enfin les rapports entre la philosophie et la biologie.

Introduction : La pensée et le vivant

Canguilhem commence son ouvrage en disant « Connaitre c’est analyser ».
La connaissance, selon lui, c’est avant tout une analyse dans le but de quelque chose.
La pensée ne nous sert qu’à prendre du recul sur notre monde, et à nous questionner face aux obstacles qu’il présente.
Le monde étant un ensemble d’obstacles qui se posent à l’homme tout au long de sa vie, la connaissance est une manière de réduire la quantité d’obstacles, de les anticiper, de rendre plus facile le rapport de l’homme à son milieu.
« Elle est donc (la connaissance) une méthode générale pour la résolution directe ou indirecte des tensions entre l’homme et le milieu. »

 La connaissance et la pensée s’inscrivent donc dans la vie pour en éclaircir le sens, pour en rendre le cheminement plus facile.
La vie ne s’oppose donc pas à la pensée comme un vulgaire mécanisme. La vie n’est pas un mécanisme.
« La connaissance est fille de la peur humaine » : autrement dit, la connaissance nait de la peur des obstacles et est un outil pour les dissoudre ensuite dans un but d’organisation de l’expérience humaine.
On saisit donc ici une « relation universelle de la connaissance humaine à l’organisation vivante »


I) Méthode : L’expérimentation en biologie animale

Dans ce premier article, Canguilhem tente de montrer en quoi l’expérience est nécessaire à la science et notamment à la biologie.
Ce n’est que par l’expérimentation que l’on peut découvrir des fonctions biologiques.
L’expérimentation tient le rôle de la vérification des conclusions d’une théorie donnée.
De cette façon, c’est l’expérience qui nous permet de comprendre biologiquement un corps.

Claude Bernard, dans son Introduction à l’étude la médecine expérimentale nous explique que la science antique nous a permis de connaitre le milieu extérieur. Mais c’est l’expérience en biologie qui nous permet de connaitre l’organisme.
« La science antique, écrit Claude Bernard, n’a pu concevoir que le milieu extérieur ; mais il faut, pour fonder la science biologique expérimentale, concevoir de plus un milieu intérieur… ; le milieu intérieur, créé par l’organisme, est spécial à chaque être vivant. Or, c’est là le vrai milieu physiologique. » (P 26)

Finalement, la connaissance des fonctions de la vie a toujours été expérimentale, même quand elle était fantaisiste et anthropomorphique.



L’expérience, c’est quoi ?

L’expérience c’est d’abord la fonction de tout être vivant. L’être vivant expérimente et découvre ses fonctions à travers son expérience dans le monde. Ses fonctions deviennent ensuite des outils pour d’autres expériences dans le but de réaliser d’autres expériences.
Goldstein définit la connaissance biologique comme « une activité créatrice, une démarche essentiellement apparentée à l’activité par laquelle l’organisme compose avec le monde ambiant de façon à pouvoir se réaliser lui-même, c'est-à-dire exister. La connaissance biologique reproduit d’une façon consciente la démarche de l’organisme vivant. La démarche cognitive du biologiste est exposée à des difficultés analogues à celles que rencontre l’organisme dans son apprentissage, c'est-à-dire dans ses tentatives pour s’ajuster au monde extérieur. »

Canguilhem nous explique que la démarche expérimentale biologique est différente de la démarche expérimentale physique ou chimique.
Le biologiste doit surmonter 4 obstacles épistémologiques propres à la démarche expérimentale biologique : la spécificité, l’individualisation, la totalité et l’irréversibilité.

1) La spécificité : La généralisation est limitée par la spécificité de l’objet que l’on expérimente. Ça signifie qu’aucun résultat obtenu par l’expérience ne pourra être généralisé à plusieurs espèces. Le biologiste choisit un animal avec un caractère particulier pour une expérience particulière.
Ce premier obstacle de l’expérimentation consiste à comprendre que chaque espèce a sa spécificité et que donc on ne peut pas généraliser les résultats d’une expérience à plusieurs espèces.

2) L’individualisation : On ne peut pas avoir deux êtres vivants absolument identiques. L’individualité de chaque être pose des difficultés lorsque le biologiste veut comparer deux êtres vivants pour en tirer des conclusions générales.

3) La totalité : Pour comprendre un être vivant, le biologiste est obligé d’étudier l’être dans son ensemble, au-delà de la particularité qui l’intéresse pour son expérience.
Une fonction biologique se comprend toujours au sein de l’organisme tout entier. Isoler une partie de l’organisme ne nous permet pas de connaitre sa fonction exacte.
De cette façon, quand on altère une partie de l’organisme d’un être vivant, c’est l’ensemble de l’organisme que l’on modifie.

4) L’irréversibilité : Les êtres vivants évoluent et se modifient dans le temps. Ce qui est valable pour eux à un instant T1 ne sera plus valide à un instant T2.
Claude Bernard notait que si aucun animal n’est absolument comparable à un autre de même espèce (c’est l’obstacle de l’identification vu précédemment), le même animal n’est pas non plus comparable à lui-même selon les moments où on l’examine.

Avec ces 4 règles, Canguilhem pose donc une méthode de l’expérimentation biologique.




II) Histoire : La théorie cellulaire


Toute la dynamique de cette seconde partie sera pour Canguilhem de montrer qu’il est nécessaire de retracer l’histoire d’un concept scientifique (ici il s’agit de la cellule) pour mieux le comprendre.

Pour Canguilhem, il s’agit de comprendre les origines de la théorie cellulaire pour ensuite comprendre le concept de vie. Il s’intéresse surtout à Georges Buffon, un biologiste français du XVIIIe siècle.


Buffon expose une théorie des molécules organiques, qu’il expose dans L’histoire des animaux : « Les animaux et les plantes qui peuvent se multiplier et se reproduire par toutes leurs parties sont des corps organisés composés d’autres corps organiques semblables, et dont nous discernons à l’œil la quantité accumulée, mais dont nous ne pouvons percevoir les parties primitives que par le raisonnement. »

L’atomisme de Buffon admet une quantité infinie de parties organiques vivantes à l’intérieur des êtres organisés.

Il se base sur le modèle newtonien : il admet la réalité matérielle et corpusculaire de la lumière, c'est-à-dire que les plus petites particules que nous connaissons sont les particules de lumière. La lumière, la chaleur et le feu sont des manières d’être de la matière commune. Il dit que c’est de la « matière vive » c'est-à-dire la matière qui constitue tous les êtres qui vivent ou végètent, mais aussi toutes les molécules organiques vivantes.

 Buffon fait naître, à partir d’une théorie physique de la lumière, la théorie biologique c'est-à-dire la théorie des molécules organiques.
Il comprend la nature comme étant l’apparence de la diversité, une diversité qui regroupe un ensemble d’éléments qui possèdent chacun leur identité propre.
Un organisme vivant est donc pour Buffon un mécanisme donc le fonctionnement résulte de l’assemblage des parties.
Il nous dit : « La vie de l’animal ou du végétal ne parait être que le résultat de toutes les actions, de toutes les petites vies particulières de chacune de ces molécules actives dont la vie est primitive et parait ne pouvoir être détruite. (…) Quand un certain nombre de ces molécules sont réunies, elles forment un être vivant : la vie étant dans chacune des parties, elle peut se retrouver dans un tout, dans un assemblage quelconque de ces parties. » (Histoire des animaux, dans L’Histoire naturelle)


Canguilhem fait ensuite un rapprochement entre Buffon et Hume. On peut remarquer que l’atomisme psychologique de Hume répond symétriquement à l’atomisme biologique de Buffon.
_ Chez Hume, les idées simples s’associent et donnent l’apparence d’unité de la vie mentale.
_ Chez Buffon, chaque molécule organique a une identité propre et en s’assemblant elles constituent l’organisme vivant.

Mais on ne doit pas pousser le parallélisme trop loin. C’est vrai, le corps social, comme le corps organique, sont un tout qui s’explique par la composition de ses parties. Mais l’organisme vivant ne peut pas être comparé à une société de type humain. Buffon rapprocherait plutôt l’organisme d’un agglomérat sans préméditation. C’est le « sans préméditation » qui est important parce qu’il permet de comprendre que la société humaine est une société concertée, alors que les réunions mécaniques (comme l’organisme vivant) sont un assemblage physique ordonné par la nature et indépendant de toute connaissance et de tout raisonnement.

Canguilhem nous met donc en garde contre la tentation de comprendre les phénomènes par le biais de l’analogie. Pour comprendre le mécanisme biologique on ne doit pas poser dessus une image sociale et affective de coopération.


Selon Canguilhem, l’atomisme de Buffon a « pressentie » la théorie cellulaire.
Mais c’est Lorenz Oken, au XIXe siècle, avec sa philosophie naturelle qui l’aura vraiment « anticipée ».

A première vue, Oken semble dire la même chose que Buffon : il existe des unités vivantes absolument simples dont l’assemblage ou l’agglomération produit les organismes complexes.
Ici, la théorie d’Oken consiste à dire que le tout est constitué de parties.
Mais on peut lire Oken d’une autre façon, c'est-à-dire considérer que la molécule est le résultat d’une décomposition du tout. L’organisme n’est plus une somme de réalités biologiques élémentaires. Mais c’est une réalité supérieure dans laquelle les éléments sont niés comme tels, c'est-à-dire que l’individualité de chaque partie est détruite pour laisser place à la création de l’individualité du tout.

Quand on parle de l’histoire du concept de la cellule, on ne peut pas ne pas prendre en compte l’histoire du concept de l’individu.

L’essentiel de la biologie de Oken, c’est une certaine conception de l’individualité. Il se représente l’être vivant à l’image d’une société communautaire.

Claude Bernard reprendra cette idée d’individualité en disant que l’être vivant complexe est « comme une cité ayant son cachet spécial » où tous les individus se nourrissent identiquement et exercent les mêmes facultés générales, mais où chacun participe différemment à la vie sociale par son travail et ses aptitudes. (p87)
 Finalement, de la cellule isolée à la vie sociale on retrouve toujours la notion d’individualité. Un être vivant nait à l’état de cellule. L’individualité cellulaire disparait quand l’individu composé se forme. En fait, l’individualité cellulaire laisse place à l’individualité personnelle. Et à son tour l’individualité de l’être composé laisse place à l’individualité sociale.
La vie n’est pas possible sans une individuation de ce qui vit



III) Philosophie : Aspect du vitalisme


Dans ce troisième article, Canguilhem commence une réflexion plus portée sur la philosophie. La science et surtout la biologie avec la théorie cellulaire nous conduit inévitablement aux questions philosophiques concernant la vie.
Cet article traitera donc du vitalisme.

Canguilhem pose deux aspects importants du vitalisme afin de le comprendre :

• Le premier aspect c’est la vitalité du vitalisme : comprendre la vitalité du vitalisme c’est s’engager dans une recherche du sens des rapports entre la vie et la science de la vie. « Le vitalisme c’est l’expression de la confiance du vivant dans la vie, de l’identité de la vie avec soi-même dans le vivant humain, conscient de vivre » (p109)
Un homme vitaliste, c’est un homme qui se sent enfant de la nature et qui éprouve à son égard un sentiment d’appartenance, il se voit dans la nature et voit la nature en lui.
En ce sens, Platon, Aristote et tous les hommes du Moyen Age et de la Renaissance étaient vitalistes car ils considéraient l’univers comme un tout harmonieux dont eux-mêmes faisaient partie.


• Le second aspect important à noter c’est la fécondité du vitalisme. La fécondité du vitalisme, elle se trouve avant tout dans un retour à l’antique. Chaque vitalisme s’est formé par un retour à des philosophes qui l’ont précédé : le vitalisme de la Renaissance est un retour à Platon contre Aristote ; le vitalisme de Barthez est un retour à Aristote par-delà Descartes.
Ce retour à l’antique montre que l’œil du vitaliste recherche une certaine vision de la vie antérieure aux instruments créés par l’homme pour étendre et consolider la vie



Conclusion : Nous avons vu comment Canguilhem aborde cette question de la connaissance de la vie. Il nous a expliqué dans un premier temps l’importance de l’expérience dans la théorie biologique et comment cette expérience se devait d’être rigoureuse, c'est-à-dire de suivre une méthode se découpant en 4 règles précises. Nous avons vu ensuite dans le second article comment Canguilhem retrace le concept scientifique de cellule pour mieux le comprendre. Georges Buffon aura pressentie la théorie cellulaire, alors qu’on pourra dire que Lorenz Oken l’aura vraiment anticipée.
Dans le troisième article du recueil, Canguilhem nous expose sa définition du vitalisme qui se fait en deux parties : une première qui consiste à comprendre que le vitalisme est un mouvement dynamique de la vie dans le vivant, et une seconde qui nous explique en quoi la naissance et le maintien du vitalisme se fait par un mouvement toujours en retour sur lui-même.

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