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jeudi 19 mai 2011

Claude Bernard, Qu'est ce que la vie ?

I) La définition de la vie : entre animisme et cartésianisme

1) Animisme et cartésianisme


Dans l'Antiquité, et notamment avec Aristote, nous définitions la vie comme étant les phénomènes se présentant "comme émanés d'un principe supérieur et immatériel agissant sur la matière inerte et obéissante.". Cette conception de la vie posée par Aristote nous ramenais à la notion de principe vital.
Cette définition de la vie fût ensuite reprise au Moyen Age par les philosophes savants mystiques et par les scolastiques.

Face à cette théorie, se développent les prémices de l'atomisme de Démocrite et d'Epicure, une théorie qui essaye d'établir l'identité entre les phénomènes des corps inorganiques et ceux des corps vivants. Dans la théorie atomiste on ne considère pas de principe vital inhérent au monde et à la matière. Il n'y a pas "d'intelligence motrice".
L'atomisme de Démocrite et d'Epicure donne naissance à une forme de matérialisme : Descartes, par exemple, sépare l'âme du corps. Il considère le caractère spirituel de l'âme, mais elle n'intervient pas dans le fonctionnement du corps, pris comme machine. Il n'y a pas de réciprocité entre la spiritualité de l'âme et la mécanique du corps.

Stahl, quand à lui, adopte un autre point de vue en ce qui concerne la vie et sa nature, reprenant les théories antiques comme celle d'Aristote. Selon Stahl, les actes vitaux ne peuvent pas s'expliquer de manière mécanique. Les forces chimiques détruisent le corps vivant au lieu de le conserver ; il faut donc la présence nécessaire d'une force vitale dans le corps qui permet de le protéger des forces chimiques extérieures. Par sa conception de la vie, Stahl fonde le vitalisme, ce qui le mène ensuite jusqu'à l'animisme : le principe vital est intelligent, il agit au coeur de la matière pour la maintenir dans un but précis.
Van-Helmont avait mis en place une hiérarchie des principes immatériels (appelés archées) ; l'âme était alors divisée en deux parties : une partie raisonnable et immortelle (ou Dieu) et une partie sensitive et mortelle.
Stahl reprend la hiérarchie de Van-Helmont et la simplifie : "L'âme immortelle, force intelligente et raisonnable, gouverne directement la matière du corps, la met en oeuvre, la dirige vers sa fin.". L'âme est ce qui contrôle la matière.

2) Modifications et influences de ces deux courants

Les théories de Stahl et de Descartes furent largement modifiées par leurs successeurs. L'homme machine de Descartes est précisé par les iatro-mécaniciens comme Borelli, Keil, etc... Stahl, quand à lui, est succédé par l'école de Montpellier qui conserve la théorie vitaliste et abandonne l'animisme. Le principe de la vie est désormais distinct de l'âme mais il existe tout de même une force vitale "dont l'unité donne la raison de l'harmonie des manifestations vitales."
Le principe vital n'est désormais plus à considérer comme étant une propriété de l'âme mais bel et bien comme faisant partie du corps, de la matière. C'est au début du XVIIe siècle que Xavier Bichat pose la source des phénomènes vitaux non pas dans une force supérieure immatérielle mais au contraire dans la matière elle-même.

Finalement, malgré les oppositions entre animistes et matérialistes, et ensuite vitalistes, ces courants se retrouvent ensembles sur un point commun, celui de chercher à établir une opposition entre les phénomènes des corps vivants et ceux des corps inorganiques : "La vie est une lutte entre des actions opposées". Les propriétés vitales comme entités métaphysiques s'opposent aux propriétés physiques ordinaires. Ce qui fait la vie, c'est cette résistance des entités métaphysiques sur les propriétés physiques.


II) La définition de la vie : le XVIIIe siècle


Lavoisier et Bichat sont les représentants des deux courants philosophiques importants que nous retrouvons dès l'antiquité : un courant consistant à dire que les phénomènes de la vie relèvent de la mécanique de la matière, l'autre courant défendant l'idée selon laquelle ces phénomènes naissent d'une puissance spéciale, qu'on l'appelle âme, archées, psyché, ou force vitale...

1) Le vitalisme de Bichat


La théorie de Bichat pose une opposition entre les forces vitales et les forces extérieures physico-chimiques : "Ce qui distingue le cadavre du corps vivant, c'est ce principe de résistance qui soutient ou qui abandonne la matière organisée." En effet, la force vitale est le principe qui maintient la matière en un tout organisé.
Bichat pose donc une distinction nette entre deux formes de propriétés constituant la nature ainsi que leur temporalité : les propriétés physico-chimiques qui sont éternelles, et les propriétés vitales qui sont temporaires et qui ne peuvent donc pas soutenir le corps organique indéfiniment, elles s'en détache progressivement, ce qui finit par provoquer la mort du corps organique.
De cette façon, comme les propriétés vitales sont changeantes et d'une durée limitée, les corps vivants sont alors mobiles et périssables. Ils ont une évolution.

Le vitalisme de Bichat a une influence sur la conception des sciences : les lois des sciences sont constantes et invariables car elles s'attachent aux propriétés physico-chimiques qui sont fixes et constantes ; les propriétés vitales étant changeantes, on ne peut rien calculer d'elles.

2) Remise en cause de la théorie de Bichat


Mais le vitalisme de Bichat reste fragile. En astrologie, on a longtemps considéré l'incorruptibilité des cieux jusqu'au XVIIe siècle, tout comme l'on considérait l'incorruptibilité de la matière.
Puis l'on a constaté une évolution, un changement dans la constellation. Ceci a montré qu'il y a bien une modification des propriétés physiques, tout comme les propriétés des corps vivants qui sont changeantes.
De la même manière, l'organisme vivant peut aussi adopter les facultés de la matière : il peut se régénérer.
Les vitalistes avaient donc tort en ce qui concerne la temporalité et l'immuabilité des différentes propriétés de la nature.

Il n'y a donc pas un antagonisme entre les phénomènes chimiques et les phénomènes vitaux comme le pensait Bichat et ses prédécesseurs ; il y a plutôt entre ces deux propriétés de la nature un équilibre parfait et nécessaire au maintien de la vie : "L'opposition, l'antagonisme, la lutte admise entre les phénomènes vitaux et les phénomènes physico-chimiques par l'école vitaliste est une erreur dont les découvertes de la physique et de la chimie modernes ont fait amplement justice."


III) Qu’est-ce que la vie ? Claude Bernard répond


Les questions « Qu’est-ce que la vie ? » et « Qu’est-ce que la mort ? » sont liées.
Nous le comprendrons plus tard dans notre exposé.
L’être vivant est essentiellement caractérisé par la nutrition : c’est un mouvement constant des molécules de l’être dans son milieu. Ce mouvement est appelé « tourbillon vital » ou « circulus matériel » et il est le caractère fondamental de l’être vivant.

1) La nutrition et la génération

Ce mouvement nutritif doit être compris en deux temps distincts : le premier qui est celui de la matière inorganique qui est fixée aux tissus vivants comme étant une partie du tout ; le second qui est celui des tissus qui se séparent ensuite de la matière inorganique et l’abandonnent. C’est la continuelle destruction et renaissance des parties constituantes de l’organisme ou ce qu’on appelle plus couramment la vie et la mort.
Alors que les vitalistes concevaient la vie comme étant une résistance à la mort, c'est-à-dire aux forces chimiques et physiques, Claude Bernard nous explique qu’en réalité c’est précisément cette destruction organique (provoquée par les forces physiques et chimiques) qui permet ce mouvement d’échange et qui permet donc la réorganisation du corps.
« Les deux facteurs de la nutrition sont donc l’assimilation et la désassimilation, autrement dit l’organisation et la désorganisation. »
C’est la destruction organique qui permet l’être vivant, autrement dit, la destruction organique permet le renouvellement de la matière organique : « toute manifestation d’un phénomène dans l’être vivant est nécessairement lié à une destruction organique. »
S’il y a de la vie, ce n’est donc pas parce que les forces physiques et chimiques sont domptées par la force vitale ; c’est parce qu’il y a destruction organique, c'est-à-dire transformation de la matière, qu’il y a de la vie.
Si le corps se détruit, il se régénère ensuite. Cette régénération se fait selon deux modes principaux : la synthèse chimique assimile la substance ambiante pour en faire des principes nutritifs, et parfois cette même synthèse forme directement des éléments des tissus.

Les deux notions de nutrition et de génération sont à comprendre comme une unité ; l’organisme vivant se génère et se régénère continuellement, et la nutrition est un moyen d’opérer à cette régénération.

2) Le germe

La nutrition et la génération sont les aspects d’un seul et même agent appelé « germe ». « Le germe est l’agent d’organisation et de nutrition par excellence ; il attire autour de lui la matière cosmique et l’organise pour constituer l’être nouveau. »
Le germe est une puissance organisatrice de la matière organique qui se trouve déjà présent à la base de la matière, dans la cellule-œuf.
Tout comme le germe opère sa transformation de l’organisme de manière invisible depuis l’extérieur, chacune de nos fonctions « a pour ainsi dire son incubation organisatrice ». Chaque action vitale qui se produit extérieurement est le résultat d’un long processus intérieur à la matière même. Ainsi, lorsque la science veut contrôler les phénomènes vitaux, c’est au cœur même des causes intérieures que son travail doit se porter.
La vie se maintient donc par deux sortes d’actes : la destruction organique et la synthèse assimilatrice. Mais ces deux sortes d’actes sont indissociables l’un de l’autre.

3) Qu’est-ce que la vie ?


Pour poser une définition de la vie, il faut d’abord savoir quelle conception nous devons nous former des phénomènes de la vie dans l’état actuel de nos connaissances physiologiques.
Nous savons d’ores et déjà que le siège de la vie est partout, dans toutes les molécules de la matière organisée. Toutes les manifestations de la vie sont des variantes infinies de propriétés organiques élémentaires fixes et invariables.
Afin de définir la vie, il ne faut donc pas chercher à connaitre toutes les manifestations vitales que l’on peut percevoir, mais bel et bien connaitre ces infiniment petits qui sont la véritable base de ces manifestations.
Mais une fois cette idée posée, la question reste la même que celle que nous nous posions déjà depuis l’Antiquité : « Existe-t-il dans les êtres vivants une force spéciale qui soit distincte des forces physiques, chimiques ou mécaniques ? » Les vitalistes défendaient la présence d’une force vitale, les mécanistes prônaient le contraire.

Parmi tous les phénomènes de nutritifs qui constituent la vie, il en demeure un, celui de la destruction organique, qui s’expliquent par des actions chimiques. De la même manière, même si cela nous parait moins évident au premier abord, le processus de régénération n’en est pas moins spéciale et s’explique également par des phénomènes de synthèse chimique.
En plus de la synthèse chimique, nous trouvons au cœur de la matière, un principe d’évolution immanent à l’ovule qui se transmet ensuite dans l’embryon et ainsi dans le corps nouveau. Les phénomènes de génération et de nutrition ont donc un caractère évolutif qui en est le fond et l’essence.
Selon Claude Bernard, ce serait donc cette puissance évolutive qui constituerait la base de la vie, au-delà de tous les questionnements vitalistes ou mécanistes qui peuvent être posés.
Cette propriété évolutive de l’embryon n’est pas ni un phénomène physique, ni un phénomène chimique. Cette notion de puissance évolutive est donc la dernière arme du vitalisme. Mais le vitalisme reste une erreur car il conçoit cette force métaphysique comme étant une force physique.
La réalité est que la force métaphysique qu’est la puissance évolutive par laquelle nous définissons la vie est présente à notre esprit, mais ne peut avoir aucune influence sur le domaine de la physique car elle est en dehors d’elle.

Ainsi, si nous devons définir la vie, nous expliquerons que sa définition se trouve dans le monde métaphysique, celui de notre esprit ; mais ce monde est à détacher du monde physique. Les forces physiques sont donc les seuls agents effectifs de l’organisme vivant. « Nous dirons avec Descartes : on pense métaphysiquement, mais on vit et on agit physiquement. »

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