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jeudi 19 mai 2011

Rousseau : l'inscription de l'homme moral dans le politique

Chaque système social est un embranchement de relations très complexes. L'individu ne sait se positionner dans son statut de citoyen. Doit-il être dévoué à une puissance supérieure et se soumettre à elle ? Doit-il refuser toute soumission ou toute mise en commun et s'appliquer à protéger et conserver son propre intérêt ? La première proposition risquerait d'instaurer un rapport totalitaire et appauvrissant pour l'individu, tandis que la seconde ne tiendrait pas compte de la communauté. Comment résoudre alors ce problème qui pose la société politique ? Rousseau nous propose une solution dans son Discours sur l'économie politique, tout comme il le faisait dans le Contrat Social. Quelle est la forme idéale de la société politique ? Comment doit-on espérer qu'elle fonctionne ? Force est de constater que la réalité n'est pas un idéal et que le système politique ne fonctionne pas toujours parfaitement. Dans ce cas, quel statut doit tenir l'homme dans la société ? Comment résoudre le problème de l'inscription de l'homme moral dans le politique ?


Le Discours sur l'économie politique nous permet de comprendre comment Rousseau envisage un système politique idéal. La société idéale est celle qui est formée par le contrat d'association sans soumission. C'est à dire que chacun s'associe au tout sans se soumettre à personne. Cette société politique additionne les intérêts particuliers (que l'on définira comme "amour de soi") pour en faire un intérêt commun ; cette addition des intérêts particuliers exprimera une volonté que l'on appellera "volonté générale".
Mais Rousseau constate bien que cette société idéale ne colle pas avec la réalité. La société politique par le contrat d'association n'est pas seule et unique. Elle rassemble un certain nombre de "sociétés particulières" (selon les termes de Rousseau) qui, au premier abord, fonctionnent comme la "grande société". Les petites sociétés sont aussi des sociétés politiques (bien qu'elles soient passagères et informelles), et elles se fondent sur la mise en commun des intérêts particuliers ("tous les particuliers qu'un intérêt commun réunit") et les individus de ces sociétés constituent les membres d'une association. Cette association exprimera elle aussi une volonté et revêt une forme extérieure semblable à la grande société politique.
Il semblerait donc que la grande société politique en contienne plusieurs petites, fonctionnant sous le même schéma et ayant les mêmes résultats.

Mais ce même schéma de fonctionnement apparent n'est justement qu'apparent. Il est clair que les sociétés particulières à l'intérieur de la grande société politique fonctionnent, pour le plus simple, de la même façon que cette dernière. Mais ces petites sociétés ont une mauvaise influence sur la grande. Si Rousseau les appelle les "sociétés particulières" ce n'est pas un hasard ; c'est parce qu'elles sont à l'image des hommes qui opposent leurs intérêts particuliers (définis ici comme "amour propre").
Par leur propre volonté ces petites sociétés modifient la volonté publique de la grande société. Si elles se considèrent elles mêmes comme l'expression d'une volonté générale, elles sont l'expression l'expression d'une "volonté particulière" pour la grande société. En effet, les petites sociétés expriment une volonté particulière car elles constituent une unité qui s'oppose à d'autres unités.
Les petites sociétés sont donc mauvaises car elles maintiennent les relations d'opposition au sein même de la grande société politique : "l'intérêt personnel augmente à mesure que l'association devient plus étroite". Ainsi, plus la société particulière est petite et plus elle s'apparente à un individu isolé avec ses propres intérêts particuliers, c'est à dire son propre égoïsme.


On retrouve à travers société politique et société particulière le double statut de l'individu, à la fois particulier dans son rapport avec le tout et singulier, c'est à dire en opposition avec les autres hommes. Les citoyens dans les sociétés particulières sont ces individus communautaires laissant place à leur statut d'homme singuliers ; ils sont alors considérés comme de mauvais citoyens car même à travers une "micro société politique" les rapports d'opposition sont maintenus et l'individu ne se considère pas comme une partie du tout. Les individus faisant partie de la grande société politique sans faire partie des plus petites sont alors des bons citoyens ; ils sont une partie indivisible du tout politique car ils ont déplacé leur "moi" particulier dans un "moi commun" ; ce "moi commun" est alors vu comme un "corps" politique dont les individus qui le constituent en sont les organes.
Dans les sociétés particulières il n'y a pas eu ce déplacement de soi dans le sens où l'on ne trouve pas de religion civile, c'est à dire que les citoyens restent citoyens et mauvais citoyens et ne deviennent pas des hommes moraux car ils ne se sont pas compris comme une partie indissociable du tout que Dieu a créé. Dans les sociétés particulières il y a la mise en place du politique avec la mise en commun des intérêts particuliers, etc... mais on ne trouve aucune dimension morale qui s'inscrit dans le politique. Le citoyen reste citoyen et n'acquiert aucune dimension morale. Ce sera dans la grande société politique que le citoyen, après avoir été citoyen, pourra devenir un homme moral. En effet, la volonté générale dans la grande société politique ne permet pas la réapparition des intérêts particuliers dans l'intérêt commun car la volonté générale est construite sur le fond commun des intérêts particuliers qui deviennent alors non oppositifs.
Les intérêts ne s'opposent plus parce que "la voix du peuple est la voix de Dieu", c'est à dire que l'amour de soi de l'individu communautaire se transforme en amour de Dieu ; sa raison lui permet de comprendre l'ordre du monde donc il est une partie et sa conscience le lui fait aimer car l'individu comprend qu'il est une partie du tout que Dieu a créé. L'homme est naturellement porté à plus s'aimer lui même que ce qu'il aime Dieu. Mais sa raison et sa conscience lui permettent de se rendre compte que la chaine des êtres existant dont il fait lui même partie et son amour de soi se déplace et devient amour de Dieu. L'homme aime Dieu car il l'a créé comme membre de la chaine qui est parfaite parce que son créateur est lui me^me parfait.
Ainsi, le citoyen devient un homme moral par la religion civile existante dans la société politique. L'homme ne peut être moral que s'il a d'abord été politique.

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